Misery, Stephen King
Paul Sheldon est très content : il a tué la poule aux œufs d'or, Misery Chastain, héroïne de romans à l'eau de rose qui lui a apporté notoriété et aisance financière, pour se consacrer à l'écriture d'un "vrai livre" d'auteur, Fast Car. Au volant de sa vieille voiture, il fête le mot "fin" déposer sur le premier jet de son nouveau manuscrit. Mais entre le champagne, l'euphorie, les virages et la tempête de neige, il perd le contrôle de son véhicule et c'est l'accident.
C'est Annie Walker qui le dégage de sa voiture. Ancienne infirmière vivant à présent seule dans une maison sans voisin, elle a posé des éclisses sur ses jambes en petits morceaux et lui fournit du Novril, des antidouleurs codéinés dont Paul ne peut bientôt plus se passer. Annie a reconnu en Paul Sheldon l'auteur qui écrit les aventures de Misery, dont elle est la fan numéro un.
Tout va presque bien dans le meilleur des mondes possibles jusqu'au jour où Annie découvre le triste sort que Paul a réservé à Misery dans son dernier roman (elle attend toujours la parution en édition de poche des aventures de son héroïne préférée). Paul va devoir faire amende honorable, et écrire la suite de Misery. Et il va devoir être convaincant pour écrire "Le retour de Misery". N'est-ce pas, Paul, que tu vas être convaincant, parce que sinon, Annie va se fâcher (petit coup d'œil vers la hache planquée dans la réserve…) ?
Misère de misère (désolée, je n’ai pas pu m’en empêcher !) que ces quelques semaines passées par Paul chez son hôtesse indésirable ! Sans éléments fantastiques ou monstre planqué sous le lit, sans super pouvoir ou éléments inexplicable, Stephen King crée un climat effroyablement terrifiant et stressant par la seule psychose implacable d'Annie, dont on découvre, en même temps que l'infortuné auteur, l'amplitude infinie !
J'avais déjà lu ce livre il y a longtemps, gardant en souvenir la trame principale et certaines scènes particulièrement marquantes pour mon jeune esprit (la hache bien sûr, la "bougie spéciale" sur le gâteau d'anniversaire, ou la tondeuse à gazon). Pour cette relecture, si j'admire la facilité avec laquelle King nous fait basculer très très rapidement dans l'horreur de la nouvelle vie de Sheldon, j'ai en revanche regretté l'avalanche de scènes particulièrement gores qui se succèdent parfois à un rythme vraiment effréné. J'ai préféré la seconde moitié du livre, qui privilégie la suggestion à la description.
L'histoire est donc menée tambour battant par un King en pleine forme, avec juste ce qu'il faut d'évènements et de révélations pour maintenir toujours à son maximum l'addiction du lecteur, qui se retrouve vite voyeur de cette relation un brin (enfin, un très gros brin !) sadomasochiste de l'auteur et de son infirmière. Enfin, nous avons deux histoires en une, puisque nous suivons la progression du "Retour de Misery" écrit par Paul dans les conditions que l'on sait !
On trouve également dans Misery, comme dans un certain nombre de romans de King, des thématiques récurrentes qui semblent importer à cet auteur prolifique. La mise en parallèle du "roman populaire", facile à lire et sans exigence, qui rapporte au compte en banque de son auteur, avec le roman de littérature, plus exigent, qui peine à trouver son lectorat, et qui ne permet pas de nourrir son homme ; c'est de la décision d'écrire de "vrais et bons" romans que survient la catastrophe (voir également La part des ténèbres par exemple). « Il s'appelait Paul Sheldon et écrivait deux sortes de romans : ceux qui étaient bons et ceux qui se vendaient bien. » Je me demande s'il n'y aurait pas là un message aux lecteurs…
On trouve, pêle-mêle, dans Misery un héros addictif : à la codéine pour Paul Sheldon, tout comme d'autres pouvaient l'être à l'alcool (dans Shinning par exemple), ou Stephen King himself. Comme dans La part des ténèbres, l'écriture passe du statut de métaphore de la vie au rang de pourvoyeur de vie, avec des réflexions plutôt intéressante sur la relation d'un écrivain avec le processus d'écriture. « Nul besoin d'un psychiatre pour se rendre compte de l'aspect autoérotique de l'écriture ; on brandouille une machine à écrire au lieu de s'astiquer soi-même, mais l'un comme l'autre dépendent d'une imagination fertile, d'une main rapide et d'un engagement sans faille dans l'art de l'outrance. »
Pour ma part, j'ai apprécié en particulier la relation amour-haine qu'entretient Sheldon vis-à-vis de son roman écrit sous la contrainte, au même titre que j'apprécie la relation trouble entre Beaumont et Stark dans La part des ténèbres. J'ai beaucoup aimé également la personnification qu'opère Paul sur les objets de son quotidien : la machine à écrire et son sourire édenté qui le nargue, le barbecue vorace de bonne littérature… « Elle [la machine à écrire] lui souriait de toute la splendeur de ses touches (sauf une), lui disant qu'il était juste et noble d'entreprendre, mais qu'à la fin un destin funeste l'attendait tout de même. » Et puis, toujours, un sens de la formulation pas très politiquement correct mais qui donne ce piment particulier, qui fait sourire le lecteur en même temps qu’il est horrifié de ce qu’il lit !
Bref, nul besoin d'épiloguer pendant des pages : Misery est un best-seller de King, adapté avec brio en 1990 avec une Kathy Bates plus vraie que nature ! Lisez l'un, regardez l'autre, et après, répondez à la question : a-t-il su ?
On dirait une veuve qui vient juste de se faire baiser après dix ans d'abstinence.
Dans l'obscurité, ce qui est rationnel devient stupide et la logique se réduit à un rêve.
Et alors, parce qu'il n'aurait pas pu supporter de faire autrement, Paul Sheldon sortit la dernière page du rouleau de la machine à écrire et traça à la plume le mot le plus aimé et le plus détesté dans le vocabulaire d'un écrivain : FIN.
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